Né le 5 mai 1911 à Plancher-les-Mines, Lucien Ledeur passe son enfance à Ronchamp, et sur les conseils de l'abbé Moniot, alors curé de Champagney, il entre au séminaire... à la Maîtrise, en 1922. Sa santé est délicate, il ne terminera pas l'année scolaire, mais reprend ses études secondaires au séminaire de Luxeuil, d'accès plus facile que Besançon. Il est plus qu'un bon élève et, rejoint par son frère Etienne, les deux frères se distinguent par leurs succès scolaires autant que par leur sérieux.

 

Les années qui suivent vont être marquées pour Lucien par des ennuis de santé préoccupants et même graves, il sera considéré comme perdu, mais la vie l'emporte, il peut terminer sa théologie dans de très bonnes conditions et être ordonné prêtre le 12 Juillet 1937. Tout au long de ses étude de philosophie et de théologie, il s'était fait remarquer par une intelligence supérieure, à l'aise dans les concepts et se jouant des thèses, des objections et des cas ; l'épreuve de la maladie lui avait permis aussi de lire énormément et d'assimiler une somme de connaissances satisfaisant sa curiosité universelle.

 

Il va être aumônier du Préventorium de Bregille pendant trois ans. Ce n'est ni un poste très lourd, ni une sinécure ; car il y a en pleine saison une centaine de garçons et davantage de filles que Lucien Ledeur catéchise régulièrement en adoptant des méthodes nouvelles. Il doit normalement succéder au chanoine Mourot, qui a pour lui beaucoup d'estime, mais Mgr Dubourg lui demande d'aller suivre des études de philosophie à l'Institut Catholique et à la Sorbonne, ce qu'il fait sans hésiter. Ces deux années lui permettront d'étendre ses connaissances dans le domaine de la pensée, de la réflexion philosophique et de la psychologie, mais aussi dans le domaine des beaux-arts ; ses goûts artistiques, innés, ont été déjà cultivés par de nombreuses lectures et influencés par Maritain. Avant son ordination, alors qu'on allait lui offrir un calice, il chercha le moyen de faire réaliser son oeuvre originale et "vraie" selon sa propre expression.

 

En 1942, ses études terminées sans les diplômes qu'il eut obtenus sans problème, mais il oublia de se présenter aux examens, - personne ne lui en voulut, car sa valeur était bien supérieure à un parchemin -, Mgr Dubourg le nomme supérieur de la Maîtrise.

 

109 élèves à la rentrée, on espère que les 48 nouveaux de 1941 ont bien été intégrés, malgré des défections inéluctables, comblées d'ailleurs par de nouvelles recrues puisque l'effectif évoluera autour d'une centaine en 1943 - 1944.

 

Mais le corps professoral ? Donnons-en la liste telle qu'elle figure à l'Ordo : les abbés Blanc - 1er assistant, Felemez - 2e assistant, Berrard - Masse - Lecordier, Barisien (en captivité et qui sera nommé sous-directeur de Saint-Joseph en octobre 1945), Henriot - Corrotte ; hors cadre, le chanoine Verchot, professeur de 1ère et qui habite en ville.

 

L'âge des professeurs, leur ancienneté, n'est-ce pas un problème pour le nouveau supérieur de 31 ans ? L'abbé Jean Henriot nous éclaire dans la belle plaquette consacrée à "Un artisan de l'art sacré" : "Dès le grand séminaire, sa haute stature, la gravité de ses traits, sa réserve, pouvaient tenir à distance. Pourtant, il attirait par sa courtoisie, sa simplicité, sa camaraderie de bon aloi. En lui, une remarquable faculté d'abstraction s'alliait d'une façon étonnante au pouvoir qu'il possédait de clarifier, de rendre sinon plus simples, du moins plus accessibles les problèmes de philosophie et de théologie..."

 

Et il poursuit : " Parachuté supérieur, si jeune, au milieu d'hommes plus âgés, donc humainement plus mûrs, il provoqua la surprise, l'interrogation, peut-être une certaine défiance ; petit à petit, il devint l'animateur, l'âme de la maison..."

 

Aux qualités données à Lucien Ledeur, élève au grand séminaire, on peut ajouter que la simplicité qu'il y manifestait, se traduisit plus tard par "une très grande humilité devant les choses et les hommes" (un ami) et son frère Etienne ajoute dans la même plaquette :

 

"L'humilité, en tout cas, n'était pas chez lui une attitude, une feinte, elle faisait corps avec sa personnalité, elle était une part de lui-même... Il était vrai, en ce sens, qu'il ignorait le mensonge, l'affectation, les petites habiletés. Vrai, plus profondément, parce que ses paroles et ses gestes traduisaient simplement ce qu'il pensait, ce qu'il sentait, ce qu'il était, ce qu'il voulait être par fidélité aux responsabilités que Dieu lui avait confiés et qu'il assumait."
(Extrait du livre "La maitrise de la cathédrale de Besançon")